Et si nous laissions nos enfants rêver, imaginer, découvrir, créer, expérimenter … ?
A l’occasion des fêtes de fin d’année revient la question de la fameuse légende du Père Noël ..
Faut-il laisser nos enfants y croire ? Comment et pourquoi présenter cette légende ?
Lors de nos ateliers et formations Montessori, la question de l’imagination est abordée. Comme beaucoup de sujets concernant la pédagogie Montessori, nous réalisons que l’imagination est souvent mal interprétée car insuffisamment documentée. J’en profite pour rappeler que vous trouverez toujours les meilleurs éléments de réponses au sein des ouvrages même de Maria Montessori. Les livres écrits pas d’autres auteurs offrent une ouverture, une vulgarisation de certains concepts, mais l’essence reste dans ses livres.
Dans cet article, le sujet du Père Noël et autres croyances comme la petite souris ne se limitent pas à une lecture Montessorienne, fort heureusement. Il est le fruit de nos lectures ( vous pourrez retrouver les sources en fin de texte) et expériences vécus avec les enfants et leurs familles. Nous vous proposons donc une lecture mêlant psychologie, éducation et question de société..en effet, « faut-il faire croire ou pas » est une question relativement récente.
Le rôle de l’imagination dans le développement de l’enfant
Selon la définition du Larousse, Imaginer c’est se présenter dans l’esprit. Concevoir, envisager, penser la réalité de quelques chose d’extérieur à soi-même.
La pédagogie Montessori invite à favoriser l’apport du concret jusqu’à âge dit de raison, entre 6 et 7 ans. A partir de cette âge, l’imagination va accompagner l’enfant dans l’abstraction.
Maria Montessori disait : « L’imagination est la base même de l’esprit; elle élève les choses sur un plan supérieur, le plan de l’abstraction. » En d’autres termes, l’imagination est ce qui va permettre à l’enfant de comprendre le monde et son immensité. Elle se développe sur la base d’apports concrets et d’un environnement favorisant les expériences. Elle cite par exemple l’étude des insectes « Quand nous sommes initiés aux diverses fonctions de la vie des insectes à la campagne, nous pouvons nous faire une idée de la vie des autres insectes. Personne n’a jamais eu sous les yeux tous les insectes de l’univers, mais le monde s’acquiert psychologiquement à travers l’imagination« .
Une autre illustration concrète d’un manque de « réel » dans le monde de l’enfant est sa capacité à dessiner et à imaginer ses propres dessins, histoires et décors. En effet, une étude* semble confirmer que plus les enfants seraient au contact des dessins animés (plus de 3 heures par jour à partir de 3 ans), et moins leurs dessins seraient créatifs.
« Un cerveau ne s’imprègne correctement des choses que s’il les découvre par le biais de plusieurs sens, c’est-à-dire l’audition, la vue, l’odorat et le toucher. Et, de ce point de vue, la télévision est une source d’information bien pauvre en comparaison avec le monde réel. » Winterstein.
L’imagination comme nous la définissons ici est bien différente de l’imaginaire. L’imaginaire pouvant être entendu comme une croyance que nous souhaiterions transmettre à un enfant.
Qu’en est-il de l’imaginaire créé et entretenu par les adultes ?
L’imaginaire comporte une différence subtile. Il serait par définition opposé à la réalité. Dans le cadre de cet article, nous garderons l’idée d’un imaginaire irréel afin de favoriser la compréhension de notre pensée. Nombres d’adultes estiment qu’il est nécessaire de développer cet imaginaire irréel.
Cela correspond-il à un besoin d’évasion du monde, d’une réalité pas toujours agréable à vivre au quotidien ?
Nous avons l’habitude de voir, de juger le monde des enfants avec nos yeux d’adultes. Ainsi, un enfant qui joue dans un environnement peu coloré, avec peu d’activités sera vu comme « triste » et peu stimulant pour l’enfant. Cela est même une crainte de certains parents dans les classes alternatives, comme dans la pédagogie Montessori. Il suffit d’observer les enfants pour réaliser qu’ils s’épanouissent dans le travail (travail souvent connoté de façon négative par les adultes), et, à quel point l’environnement adapté répond à LEURS besoins à EUX !
Il est aujourd’hui aisé de constater qu’un enfant qui possède trop de jouets, surtout en bas-âge, va rencontrer des difficultés à choisir un jeu et à y jouer quelques minutes sans papillonner d’un jeu à l’autre… de même il pourrait être difficile pour lui de se concentrer.
Revenons donc à notre sujet de l’imaginaire avec l’exemple concret de notre cher Père Noël !
Le « mensonge » comme aide au développement ?
Vous exposer mon point de vue sur le sujet (partagé par Julien), requiert également de partager avec vous le point de vue d’autres courants de pensée.
Certains psychologues estiment que ces croyances, et surtout, la découverte « de la vérité » est nécessaire au développement de l’enfant. Cela permettrait à l’enfant de se séparer de l’adulte et aussi de faire comprendre à l’enfant que le monde est parfois injuste. Exposé de façon très synthétique vous comprendrez que c’est ici une posture d’adulte bien différente qui est proposé.
La croyance fait partie du développement psychoaffectif de l’enfant. Selon Winnicott (1963, p. 155) les carences de l’adaptation de l’environnement ont une valeur positive dans la mesure où le nourrisson peut haïr l’objet, c’est-à- dire peut conserver l’idée d’un objet éventuellement capable de le satisfaire tout en reconnaissant que cet objet n’a pas réussi à se comporter d’une façon satis- faisante. La carence de l’environnement joue ainsi un rôle positif, en autorisant l’enfant à le rejeter. C’est une des fonctions dévolues au Père Noël.
Personnellement, je suis convaincue par les pédagogies actives et une éducation bienveillante qui place l’adulte comme un guide bienveillant de l’enfant. Un guide qui fixe règles et limites et qui s’inscrit dans un rapport démocratique avec l’enfant. Ceci implique de passer d’un rapport de dominant-dominé, entretenu par la position de « sachant », à un rapport d’humain à humain basé notamment sur l’écoute, la compréhension et la coopération.
Accompagner l’enfant à se construire par la confiance, la collaboration et l’autonomie ne pourrait-il pas être une bonne façon de préparer l’enfant aux injustices de ce monde ? L’aider à comprendre ses émotions, à faire preuve d’auto-empathie et d’empathie ne serait-il pas plus positif afin de favoriser l’acceptation des différences et freiner les jugements hâtifs ? Cela est d’autant plus vrai durant les premières années de la vie de l’enfant. Nous savons maintenant que son cerveau est plastique (ou absorbant comme le disait Maria Montessori), et aussi vulnérable. Comme le souligne le Dr Catherine Gueguen, l’enfant a besoin d’amour et d’empathie pour favoriser le développement de son cerveau (elle l’explique dans une courte vidéo ICI). Qui aurait besoin de mensonge, trahison et domination pour construire un lien sain et durable avec autrui ?
A ceux qui s’interroge : mais qui a raison ?! Comme nous avons coutume de le dire avec Julien, toute vérité est bonne à partir du moment où elle répond à vos valeurs et au respect physique et psychique de l’enfant.
L’histoire du Père Noël
Une légende familiale
Le mythe du Père Noël aurait inventé aux Etats-Unis. Les légendes liés à cette période de fin d’année existent depuis fort longtemps dans de nombreuses cultures, toujours avec la même caractéristique : le « bon » Père Noël est toujours accompagné de sa figure menaçante comme le Père Fouettard, ou, il peut lui même décider de la conséquence à apporter face à un comportement inadéquate, à un enfant pas sage.
Un besoin pour les parents ?
Dans notre société mouvementée où l’actualité n’est pas toujours positive, force est de constater que les décorations de Noël sont maintenant présentes dès la période d’Halloween. Les adultes semblent attendre les fêtes avec autant impatience que les enfants. Comme un besoin de replonger dans l’enfance pour oublier la réalité du quotidien.
A l’heure de l’enfant roi de nos sociétés occidentales, le Père Noël est une tierce figure qui joue le rôle du « méchant » :
Si tu n’est pas sage, le Père Noël ne viendra pas … Désolée que tu n’aies pas reçu tous les cadeaux que tu souhaitais mais tu sais, c’est le Père Noël qui décide..
S’ouvre alors la fameuse période de chantage au Père Noël ! Un chantage qui, loin de l’objectif attendu, ne garantit pas « l’obéissance » de l’enfant. Bien au contraire, suite à la désillusion d’une croyance déchue, l’enfant peut se sentir trahi. Les règles, les « stops » sont nécessaires au bon développement de l’enfant afin de répondre à son besoin de sécurité. En revanche, le chantage et les punitions ne font que nourrir un rapport de force entre l’adulte et l’enfant, loin de toute coopération.
Rappelons également que ce grand bonhomme tout vêtu de rouge, avec sa barbe et sa moustache imposante effraie souvent les plus-petits…
Un Père Noël OUI ! Un Père Fouettard NON !
Si vous souhaitez faire vivre la légende du Père Noël, faîtes confiance à l’enfant pour déjouer le vrai du faux. Les légendes, même irréelles, font rêver les enfants qui peuvent alors faire le choix d’y croire… ou pas. Transmettez votre histoire, vos souvenirs en utilisant les 5 sens.. et laisser l’enfant imaginer SON Noël, VOTRE Noël en famille.
Soyons cohérents !
A une époque où nous enfants sont de plus en plus sensibilisés à l’écologie, aux inégalités dans le monde, leur faire croire au Père Noël me semble difficilement cohérent avec le fait de faire don de ses jouets et/ou vêtements pour des familles dans le besoin. Le Père Noël « existe » pour tous ou pour personne, et finalement, ne pourrions nous pas être le Père Noël des personnes que nous aimons et de celles avec qui nous souhaitons partager l’essence même de ces fêtes : le partage, la bienveillance et l’entraide ?
Ainsi quelque soit votre choix, il est nécessaire d’aider l’enfant à comprendre le monde et à garder une cohérence dans l’histoire racontée afin de ne pas abuser de sa crédulité.
Enfin, si vous décidez de ne pas faire croire au Père Noël à vos enfants, évitez de leur demander de mentir à leur tour à leurs pairs..encore une fois, c’est la constance des règles qui guide nos enfants. Sont-ils en mesure de comprendre les mensonges dit de convenance ? Je conçois que le choix est difficile et je suis curieuse de savoir ce que nous dirons nos enfants, quelque soit notre choix, dans 20 ans 😉
En conclusion…
L’idée de partager une croyance imaginaire avec vos enfants vous appartient. Chacun peut faire ses choix en conscience. A partir du moment où nous accompagnons l’enfant à distinguer ce qui est du domaine du réel et ce qui est du domaine de l’imaginaire, nous l’aidons à se construire et à grandir. Je recommande aux parents d’enfants de moins de 5/6 ans d’éveiller la curiosité de l’enfant quand ils lisent un livre avec des animaux qui sont habillés ou qui parlent par exemple. Ils peuvent faire partie de la bibliothèque de l’enfant mais il est bon de le questionner : « Penses tu que les animaux portent des vêtements ? Les animaux parlent-ils vraiment le même langage que nous ? »…
Comme le disait Maria Montessori : « C’est l’imagination qui nous permet d’acquérir les éléments de notre culture, de retenir les images que nous rassemblons dans notre esprit et nous en servir pour créer. »
Aidons donc nos enfants à découvrir le réel et invitons les à imaginer !
Nos croyances familiales ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles permettent de faire perdurer les histoires familiales, de créer du lien. En revanche, selon la représentation et l’interprétation que nous en faisons, elles peuvent être limitantes ou aidantes. (comme l’illustre l’exemple du Père Noël dans cet article).
En cette période de fêtes, je vous invite à vous concentrer sur l’essentiel :
- Partager VOS valeurs familiales (comme le partage, l’entraide…) ;
- Créer des souvenirs et de la magie ;
- Et, prenez du plaisir !
Bonnes fêtes à tous !
Extrait des sources utilisées :
Montessori M, De l’enfant à l’adolescent, Desclée De Brouwer, 15 novembre 2006.
Montessori M, L’éducation élémentaire. Pédagogie scientifique Tome 2, Desclée De Brouwer, 2 juin 2016
Tisseron S. , Les Secrets de famille, Pur 2015
Chapellon S. , Le père noël, un rituel oeuvrant à transionnaliser la séparation, Presse Universitaire de France, 2017/3 Vol. 81 | pages 133 à 146
* Etude réalisée par deux pédiatres Allemand, Peter Winterstein et Robert J. Jungwirth , en 2006. Etude réalisée sur un échantillon de 1900 enfants de 5 à 6 ans, à qui a été demandé de dessiner un personnage.